Un mois d'absence - les jours d'avant

Publié le par CLAIRIERE

15 septembre.

 

Une réunion de famille en Province. Elle ne connaît personne ou presque. Son oncle, elle l’a vu une fois, c’était il y a 5 ou peut-être 6 ans, en cachette. Tout le monde se présente. « Je suis untel. De telle branche de la famille. Je fais tel métier ». On discute « Oui, j’habite à Niort, mais je commence un travail à Tours le 30 septembre ». Un cousin de son père qu’elle ne connaissait pas avant aujourd’hui habite Tours. Il lui propose de l’héberger dans l’ancienne chambre de son fils. C’est d’accord. On s’appelle.

 

 

 

 

 

18 septembre.

 

A la caserne de gendarmerie. Dans le logement de fonction de son mari. Le mal de tête. Ce n’est rien, sûrement encore cette satanée vertèbre cervicale qui fait des siennes.

 

 

 

 

 

19 septembre.

 

La fièvre en plus du mal de tête. Sa mère lui a répété des milliers de fois : fièvre + mal de tête = risque de méningite. Le médecin : « c’est un virus. Reposez-vous ». Retour à la caserne avec de l’ibuprofène, dose maximale.

 

 

 

 

 

20 septembre.

 

De retour à Niort. La fièvre persiste, le mal de tête aussi. Une migraine en 10 fois pire. Elle voit son médecin habituel. Il confirme le diagnostic. C’est un virus, il faut se reposer. Le soir. 40 de fièvre. La dernière dose d’ibuprofène du jour et 1h plus tard, presque 41. « Pourquoi ma fièvre augmente alors que j’ai pris mon médicament il y a à peine une heure. » Le médecin de garde. Une analyse se sang à faire en urgence le lendemain matin.

 

 

 

 

 

21 septembre.

 

La prise de sang est normale. On remplace l’ibuprofène par de l’aspirine. Plus efficace. Toujours la fièvre. Impossible de manger sauf des tomates et boire du coca.

 

 

 

 

 

22 septembre.

 

La fièvre descend un peu mais très peu. La femme du médecin appelle pour prendre des nouvelles. Un dimanche !!! Il faut se reposer. Le soir : elle vomit son aspirine. Elle retournera chez le médecin demain.

 

 

 

 

 

23 septembre.

 

On change. On arrête l’aspirine et on passe au paracétamol. Et puis une nouvelle prise de sang et une radio des sinus et des poumons.

 

 

 

 

 

24 septembre :

 

Prise de sang normale. La radio est prévue pour jeudi 26 septembre.

 

 

 

26 septembre.

 

Encore patraque. La fièvre est tombée. Les radios sont normales. Toujours mal à la tête.

 

 

 

 

 

27 septembre.

 

Son mari retourne à la caserne. Elle doit préparer ses affaires pour aller à Tours. Demain c’est l’anniversaire de sa belle-sœur à Blois. Son mari ne pourra pas y être. Y va-t-elle ? Oui, si ça ne va pas ce sera toujours mieux d’être entourée. Patraque. Tous les gestes lents. Le mal de tête ? ça va beaucoup mieux.

 

 

 

 

 

28 septembre.

 

Pendant l’anniversaire elle se met à trembler. Elle n’y fait pas attention ça fait un an qu’elle fait de la spasmophilie. Sans doute une crise due à la fatigue. Elle a l’habitude. Tout le monde va se promener. Elle est trop fatiguée, elle va faire la sieste. Elle a l’impression de ne pas dormir et pourtant elle fait des cauchemars. Les autres rentrent. On mange. Demain c’est le grand jour, le départ pour Tours.

 

 

 

 

 

29 septembre.

 

Arrivée à Tours. Jean-Marie l’attend sur le quai de la gare. Il l’emmène chez lui rejoindre sa femme. La fatigue. Cette incommensurable fatigue. Ils ressortent, Jean-Marie lui montre comment aller à l’arrêt de bus. C’est compliqué, il y a plein de tours et de détours. L’apéro. « Un jus d’orange merci. Non, je n’aime pas l’alcool ». Le repas. Même pas le courage de défaire son sac. Elle ne défait même pas le lit. Elle dort.

 

 

 

Plus tard, une fois rétablie, elle retournera chez Jean-Marie et Cécile, et elle ira en bus… L’arrêt de bus est juste au bout de la rue à gauche…

 

 

 

                                                                                          

 

30 septembre.

 

1er jour de travail. 1er travail depuis son diplôme. C’est un CDI. Elle s’arrête chez Manpower signer son contrat. Elle remonte dans le bus. A l’arrivée elle demande son chemin plusieurs fois. Il y a tant d’immeubles à contourner, elle s’y perd. Elle a peur d’être en retard. Elle a été prévenue : aucun retard ne sera toléré.

 

Elle arrive juste à temps. Elle suit le groupe, ils vont à l’IUT pour les formations. Elle a beau être au premier rang, elle s’endort. Elle prend des notes et se rendort. « Vous allez prendre 5 minutes puis au lieu de vous présenter, vous présenterez votre voisin ». Son voisin. Quand arrive son tour, elle ne se souvient même plus de son prénom. Elle qui a pourtant tant de mémoire. La honte.

 

Elle voit double. La pause. Envie de fumer. Envie d’aller aux toilettes. Elle se perd dans les couloirs. A l’impression d’avoir vidé sa vessie pendant 1 heure non stop. La fin de la journée. Où est l’arrêt de bus.

 

Une ancienne camarade de Niort d’origine tourangelle est dans les couloirs, elle lui montre l’arrêt de bus. Tout est flou.

 

Une envie de croissant. Tiens une boulangerie, elle appuie sur le bouton « arrêt demandé », elle descend du bus, elle est à l’arrêt suivant. Tant pis, elle traverse et reprend le bus dans l’autre sens. Pour aller à la boulangerie elle doit donc s’arrêter au premier arrêt. Celui qu’elle a raté dans l’autre sens. C’est bizarre, elle l’a encore raté. Elle fera l’aller-retour 2 ou 3 fois avant d’abandonner l’idée du croissant et de rentrer chez Jean-Marie et Cécile.

 

Seulement voilà, une fois descendue du bus, c’est laquelle la rue qu’il faut prendre ? Le bus s’arrête place des halles. Mais de quel côté des halles se situe la rue de sa famille ? Elle ne trouve pas. Panique. Peur. Elle a un plan de Tours. Elle cherche dessus. Elle ne sait plus où elle est. Elle allume une cigarette. Elle essaye de lire le nom des rues sur les plaques mais elle n’y arrive pas. Sa vue est trouble. Dire qu’elle voit double est un euphémisme. Elle voit quadruple. Elle demande à un passant. Il ne connaît pas la rue où elle veut arriver. Il lui lit le nom de la rue où elle est. Elle a toujours son plan dans la main. Elle appelle son mari qui est en Vendée pour qu’il la guide. Elle a oublié le nom de la rue.

 

Son époux lui demande de prendre rendez-vous chez le médecin. Elle dit qu’elle est fatiguée, qu’elle verra demain, si ça ne va pas mieux, promis elle ira.

 

Le soir. Elle est à table. Elle ne se souvient pas d’être rentrée. Elle s’endort en mangeant. Elle monte se coucher. Elle ne se déshabille même pas. Elle s’endort sur le lit.

 

Au milieu de la nuit envie d’uriner. L’impression qu’elle va faire pipi au lit. Elle va aux toilettes. Rien. Elle est tellement fatiguée. Elle retourne se coucher. L’envie est trop forte. Elle fera l’aller-retour chambre – toilettes au moins 4 fois avant d’appeler son mari. Il la rassure. Elle urine enfin. Elle va se recoucher. Le réveil sonne dans 2 heures. Elle n’en peut plus de fatigue.

 

 

 

Plus tard elle reviendra travailler dans cette rue. Entre l’arrêt de bus et son entreprise c’est… une ligne droite !!!

 

Plus tard elle repassera par ces arrêts de bus à côté de la boulangerie et aura les larmes aux yeux en se rendant compte que certes la première fois elle avait raté l’arrêt car elle ne savait pas qu’il fallait appuyer sur un bouton pour ouvrir les portes une fois le bus arrêté. En revanche lors de ses retours en arrières elle s’est chaque fois arrêtée au bon endroit et elle était passée juste à côté de la boulangerie à pieds au moins deux fois sans la voir.

 

Plus tard elle passera devant une rue, elle verra le nom de cette rue, la rue « Néricaud Destouches » et elle pleurera, c’était ça le nom de la rue où elle était quand elle cherchait sa route !!!!

 

Plus tard elle verra les notes qu’elle avait prise ce jour là, une écriture minuscule, illisible, tremblante, n’arrivant même pas à rester sur les lignes de la feuille.

 

 

 

 

 

1er octobre

 

Le réveil sonne. Elle ouvre un œil. Pourquoi se sent-elle si fatiguée. Elle s’extirpe du lit dans lequel elle avait fini par entrer après ses allers-retours aux toilettes. Elle s’assied au bord de lit. Sa tête est lourde. Elle redresse péniblement la tête. Il y a des personnages de bandes dessinées sur les murs. Elle leur parle… et elle les voit lui répondre. Elle voit leurs lèvres bouger, elle entend leurs voix. Un éclair de lucidité. Elle n’ose pas aller réveiller ces cousins qu’elle connaît à peine. Le poster d’Einstein accroché au mur, celui où Einstein tire la langue. Il lui parle. Elle lui répond. Comment va-t-elle faire pour être prête à l’heure pour aller travailler ? Il faut 3 min pour se brosser les dents. 10 pour la douche. Il faut qu’elle se lave les cheveux (longs jusqu’au bas du dos), elle ne peut pas aller travailler avec les cheveux sales. Pas pour son deuxième jour de travail. 10 minutes pour rejoindre le bus. Prendre un petit déjeuner. Il faut qu’elle parte dans 5 minutes. Elle ne peut pas tout faire. « Comment on fait pour s’habiller ? Comment on fait pour aller à la douche ? oui, toi l’indien sur le mur, aide moi. ». Et la tête toujours aussi lourde. Et la fatigue… cette insoutenable fatigue. Un autre éclair de lucidité. Elle appelle son mari. « Je parle avec les murs, ils me répondent ». « Non, non, je ne veux pas réveiller Jean-Marie et Cécile, je ne veux pas les déranger ». « Oui d’accord, je veux bien que tu les appelles toi, voilà leur numéro, mais tu sais ce n’est rien, je vais me dépêcher et je vais aller travailler ». L’indien et les cow-boys lui parlent. Einstein remue la langue. Et le temps qui courre. Comment va-t-elle faire pour être prête ? Cécile qui rentre dans sa chambre. Elle lève la tête. C’est lourd une tête déjà presque morte. Morte de fatigue. Elle demande à Cécile comment faire pour se préparer. Cécile lui dit qu’elles vont aller chez le médecin à 10h donc elle a le temps de se préparer. Non, pas le médecin, elle ne veut pas être arrêtée, il faut qu’elle aille travailler, sinon elle n’aura pas d’argent, donc pas d’appartement, donc son mari ne pourra pas venir vivre avec elle. « Je veux Yannick ». Son téléphone portable sonne « Allô Yannick ? » « Non c’est Papa, qu’est-ce qui t’arrive » « Je veux Yannick ». « Tu sais il ne pourra peut-être pas venir, il travaille aujourd’hui, en Vendée » « Si, il viendra, je veux Yannick ». Elle pleure. Elle parle avec les personnages qui se meuvent sur le mur. Elle est toujours en pyjama. Cécile rentre dans la chambre « Il faut te préparer maintenant ». Elle la regarde les yeux remplis de larmes « Il faut que j’aille travailler ». Une fois encore elle réclame son mari.

 

Elle est dans la voiture avec Cécile pour aller chez le médecin. « Tu sais, je ne suis pas comme ça d’habitude, je suis une fille gentille normalement ». Elle entre chez le médecin. « Je ne suis pas comme ça normalement » Le médecin (une femme) lui demande de sortir du cabinet et reste seule avec Cécile. Elle demande l’autorisation d’aller fumer une cigarette en bas. D’accord. Elle descend. Elle fume sur le trottoir.

 

Elle est dans la voiture avec Jean-Marie. Elle a son père au téléphone. Lui répète encore et toujours que son mari va venir il l’a promis. Son père lui dit que ce n’est pas encore sûr. Elle pleure. « Si, il a promis. Mon mari va venir. Je veux mon mari. » La salle d’attente est grande. Il y a une table ronde au milieu. Elle réfléchit. Si les molécules s’attachent entre elles comme des agrafes, à quoi se rattache la première molécule du monde ? Si la première molécule ne peut pas s’attacher, le monde ne peut pas exister. « Nous ne sommes pas vivants ». Conclusion logique, puisque le monde n’existe pas. Le médecin veut la voir. « Non ». Dans un instant de lucidité elle comprend qu’elle est dans un hôpital psychiatrique. « Je ne suis pas folle, c’est juste que nous ne pouvons pas être vivants. C’est trop compliqué à expliquer ». Son mari arrive. « Yannick, nous n’existons pas ». Il voit le médecin. Celui qu’elle a refusé de voir. Le gros médecin avec sa moustache et sa blouse blanche. Son mari signe un document.

 

Dans la voiture « Donne moi une cigarette, quand je fume je sens l’air passer dans mes poumons, quand je sens l’air je sais que je suis vivante ».

 

Sur la route elle a peur. Les lignes blanches ne sont pas droites. Les autres passagers ne voient pas les lignes blanches comme nous puisque tout est relatif. Elle le sait elle en a parlé avec Einstein. Elle en est sûre ils vont avoir un accident.

 

« Nathalie G. épouse B. depuis le 22 juin, 2 79 04 45 … … .. »

 

Puis le vide, le néant, plus rien.

 

 

 

Plus tard elle apprendra horreur suprême qu’il y avait bien un poster d’Einstein dans la chambre, en revanche sur le papier peint il n’y avait que des carrés et des losanges, aucun personnage.

 

Plus tard elle apprendra aussi que Cécile n’était pas restée avec elle pendant la consultation, elle était entrée à la fin seulement.

 

 

Publié dans Vie réelle

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